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Un Républicain de Guingamp

Site de Philippe LE ROUX, ancien Délégué de la quatrième circonscription des Cotes-d'Armor et Conseiller chargé des grands projets auprès de la Direction de l'UMP

Pourquoi Ursula von der Leyen cristallise-t-elle autant de rejet chez les eurosceptiques ?

Publié le 24 Février 2024 par Emilie Jehanno - 20 Minutes in International

Alors qu’elle a annoncé sa candidature pour un deuxième mandat à la tête de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a été accusée de nombreux maux sur les réseaux sociaux

L'essentiel

L’annonce de la candidature d’Ursula von der Leyen à un deuxième mandat à la tête de la Commission européenne et ses propos lors d'une conférence sur la sécurité ont suscité des affirmations fausses ou manquant de contexte chez les eurosceptiques.

Souvent accusé d’illégitimité, le poste de président de la Commission européenne relève pourtant d’une procédure démocratique, mais celle-ci est « complexe », note l’historien Laurent Warlouzet.

La présidence d’Ursula von der Leyen, plus politique, a aussi davantage polarisé, estime la politologue Nathalie Brack.

Pourquoi Ursula von der Leyen cristallise-t-elle autant de rejet chez les eurosceptiques ?

Ursula von der Leyen, c’est un peu la grande méchante des eurosceptiques et des partisans de théories conspirationnistes. La présidente de la Commission européenne a annoncé le 19 février qu’elle candidatait à un deuxième mandat. Pendant la Conférence internationale de la sécurité de Munich, qui a eu lieu du 17 au 19 février, elle s’est exprimée sur la construction d’une Europe de la défense, ce qui n’a pas manqué de susciter des affirmations fausses ou manquant de contexte.

Une séquence en particulier a déclenché l’ire des eurosceptiques. Un extrait d’une table ronde sur la construction de l’Europe de la défense le 17 février, portant sur la guerre en Ukraine et ses conséquences, est devenu viral (visible ici, à partir de 29 minutes). « Poutine ne s’arrêtera pas, déclare Ursula von der Leyen. Nous devons l’arrêter. Il a une approche plus globale de déstabilisation et de destruction des démocraties […]. Une étape importante dans l’intégration de l’Ukraine dans l’UE, c’est que nous avons compris qu’il ne peut plus y avoir de zones grises, soit vous êtes avec Poutine, soit vous êtes avec les démocraties. »

Pour Florian Philippot, président du parti souverainiste et eurosceptique Les Patriotes, cette déclaration revient à « un discours de guerre », où von der Leyen « se prend pour une cheffe des armées, prête à nous traîner vers la guerre totale, alors qu’elle n’a aucune légitimité ». D’autres la voient en « dirigeante autoproclamée du monde jamais élu », ou encore un modéré « c’est Hitler ». Pourquoi suscite-t-elle tant de rejet ? Laurent Warlouzet, professeur d’histoire européenne à Sorbonne-Université, et Nathalie Brack, politologue au centre d’études européennes de l’Université libre de Bruxelles, apportent leur éclairage.

Le sujet brûlant de l’Europe de la défense

Le projet d’Europe de la défense n’est pas une lubie d’Ursula von der Leyen. Il était déjà dans les cartons des pères fondateurs de la Communauté économique européenne après la Seconde Guerre mondiale, mais n’a jamais pris forme en raison de résistances fortes, car le sujet touche à la souveraineté nationale et aux compétences régaliennes. L’invasion russe de l’Ukraine en février 2022 a relancé le débat. C’est dans ce cadre que l’ancienne ministre allemande, membre du parti de droite CDU et du PPE au niveau européen, propose de créer, si elle est réélue, un poste de commissaire européen à la défense.

« Il n’y a pas un dessein d’entraîner l’Europe dans une guerre totale », analyse la politologue Nathalie Brack, qui remet en contexte ces déclarations. Elles arrivent à un moment de réflexion sur la défense européenne. Des questions se posent sur un retour possible de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis et sur un retrait du soutien américain à l'égard de Kiev, voire à l'égard des autres pays de l’Otan. « Dans le contexte actuel, la Commission, et donc sa présidente, a tendance à prendre une posture intégrationniste, à être en faveur de davantage d’Europe de la défense », souligne la politologue.

« Un commissaire à lui tout seul n’aura pas la compétence de décider que l’Europe entre en guerre, estime-t-elle. Ce n’est pas dans le fonctionnement des institutions européennes et les Etats restent très présents dans les politiques comme la défense. » Ce commissaire pourrait apporter plus de coordination, davantage d’intégration.

Un président de la Commission « illégitime » ? Non, une procédure démocratique complexe

A chaque prise de parole ou décision de la présidente de la Commission européenne, la question de sa légitimité revient. Pourtant, sa nomination relève d’une procédure démocratique, toutefois « complexe », note l’historien Laurent Warlouzet, auteur de Europe contre Europe, « ce qui affecte sa légitimité ». « La Commission, c’est un peu l’organe européen par excellence qui symbolise le transfert de compétences à l’échelle supranationale, ce qui, selon les eurosceptiques nationalistes, donne une partie de la souveraineté nationale », explique aussi Nathalie Brack.

Si les présidents français ou allemand sont choisis par une élection nationale, Ursula von der Leyen a été « désignée à l’issue de 28 élections différentes, les 27 élections nationales qui ont désigné les gouvernements, et les élections européennes de 2019 qui ont élu le Parlement européen », détaille Laurent Warlouzet. Et la présidence de la Commission doit refléter l’équilibre politique issu de ce dernier scrutin.

En 2019, la nomination de la première femme à ce poste a d’abord été proposée par les chefs d’Etats. Il a ensuite fallu gagner le vote de confiance du Parlement européen, obtenu d’une courte majorité grâce à une alliance des conservateurs majoritaires du PPE, des sociaux-démocrates du S & D et des centristes de Renew. « Mais la puissance de la Commission ne doit pas être exagérée, souligne le professeur d’histoire européenne. Elle n’est pas un gouvernement européen : elle n’a ni armée, ni police, ni justice pénale, ni Sécurité sociale. »

Une présidence plus politique et qui polarise

La présidence d’Ursula von der Leyen aura été marquée par son ton : elle a voulu donner un visage à l’Europe, en se positionnant sur une série de dossiers comme la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine ou le Pacte vert. « Forcément, elle attire plus de critiques qu’un président qui était moins visible, plus technocratique, comme Barroso, estime la politologue Nathalie Brack. Plus vous politisez, plus vous polarisez. Et la polarisation entraîne un camp négatif. »

C’est le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, cible d’attaques sur son alcoolisme supposé, qui a essayé de politiser la présidence de la Commission lors de son passage entre 2014 et 2019. « En tant que seul Spitzenkandidat élu [candidat tête de liste d’un parti aux élections], Jean-Claude Juncker a peut-être moins fait de vagues qu’Ursula von der Leyen, relève Nathalie Brack. Elle a été nommée suite à un autre processus et, dans son vote d’investiture, il y avait moins de consensus autour de sa personne. Mais elle a essayé de continuer sur la voie de Jean-Claude Juncker. »

Pour Laurent Warlouzet, l’Allemande est aussi détestée par une extrême droite française russophile et hostile à l’écologie. La dirigeante « ambitieuse » a renforcé la Commission lors des crises et est « logiquement la cible des souverainistes », pointe-t-il. Il donne en exemple le cas de Viktor Orban en Hongrie, qui a ciblé Juncker, puis von der Leyen, « avec des discours complotistes, flirtant avec l’antisémitisme, en attaquant en même temps le milliardaire hongrois George Soros ».